ARTICLE

Gestion des risques ergonomiques

Ne pas se laisser séduire par les solutions faciles : l’importance de prioriser les bonnes actions en ergonomie

Avant-propos

« Si ça semble trop facile à mettre en place… il y a un risque que ça ne fonctionne pas.»

C’est une réalité à laquelle nous faisons souvent face sur le terrain. En tant qu’ergonomes, nous constatons que trop d’interventions en entreprise reposent sur des actions qui paraissent simples, mais qui ont un impact limité sur la réduction du risque.

Lorsqu’un responsable de la SST présente une série de recommandations à la direction de son entreprise, il est tentant de les considérer toutes comme équivalentes. Résultat : l’organisation choisit les plus rapides et/ou les moins coûteuses à implanter, croyant faire un bon investissement. Mais cela peut mener à un faux sentiment de sécurité mais surtout, à une perte de temps et de ressources.

Au-delà de l’inefficacité potentielle des solutions choisies, ce type de décision peut entraîner des dommages collatéraux importants. Lorsque les actions mises en place n’ont pas les effets escomptés, les travailleurs peuvent rapidement percevoir un manque de sérieux ou de cohérence dans la démarche de prévention. Cela peut mener à un désengagement face aux initiatives de santé et sécurité, à une perte de confiance envers la direction et à un sentiment que leur réalité n’est pas réellement prise en compte. Pire encore, si une blessure survient malgré les mesures mises en place, cela peut alimenter un climat de cynisme ou de résignation. En répétant ce cycle, l’organisation compromet sa culture de prévention et nuit à l’adhésion des employés à toute future démarche d’amélioration.

Hiérarchie des moyens de contrôle des risques

La hiérarchie des mesures de contrôle est un principe fondamental en santé et sécurité du travail (SST), reconnu par des organismes comme le NIOSH et l’INRS. Elle classe les différentes stratégies de prévention selon leur efficacité à réduire les risques à la source.

En haut de cette hiérarchie, on retrouve les mesures les plus efficaces, comme l’élimination du danger ou la substitution par un procédé plus sécuritaire. Viennent ensuite les mesures techniques, les mesures administratives (procédures, horaires, formation), et enfin, au bas de l’échelle, les équipements de protection individuelle (ÉPI).

Pyramide de la hiérarchie des mesures de prévention, de la plus efficace à la moins efficace.

(Source :  CCHST)

Ce principe repose sur l’idée que toute démarche de prévention devrait commencer par évaluer les possibilités d’agir au sommet de la hiérarchie. Autrement dit, avant de recourir à des mesures plus faciles à implanter, mais moins efficaces, il faut systématiquement examiner si le risque peut être éliminé, remplacé ou contrôlé à la source.

Trop souvent, les organisations sautent cette étape et optent d’emblée pour des solutions administratives ou des équipements de protection, qui ne font qu’atténuer les conséquences sans traiter le problème à sa racine.

En suivant rigoureusement cette hiérarchie, on s’assure de maximiser l’efficacité des interventions et de construire une prévention durable.

Hiérarchie des moyens de prévention appliquée aux enjeux ergonomiques

Chez Ergokinox, nous avons constaté que la hiérarchie classique des moyens de prévention, bien qu’efficace, ne reflète pas toujours les dynamiques propres aux interventions en ergonomie. Dans ce domaine, les recommandations sont souvent nombreuses, variées et parfois perçues comme équivalentes, ce qui peut brouiller les priorités. Pour mieux guider nos clients, nous avons donc adapté ce principe en développant une pyramide inversée des mesures ergonomiques.

Hiérarchie des interventions ergonomiques selon leur efficacité.

Notre démarche vise à contrer un phénomène que nous observons fréquemment sur le terrain : plus une solution semble facile à mettre en œuvre (ex. : sensibilisation ponctuelle, formation, etc), plus elle risque d’être choisie, même si son impact réel sur la réduction du risque est limité.

Notre modèle pédagogique permet ainsi aux décideurs de mieux comprendre où investir leurs efforts pour obtenir des résultats concrets, durables et mesurables.

7 niveaux :  Où se trouvent les recommandations qu’on vous propose ?

Ergonomie de conception

NIVEAU 1 – Intégration de l’ergonomie dès la conception
Ce niveau vise à prévenir les risques dès la phase de conception d’un environnement ou d’un poste de travail. L’objectif est d’intégrer les principes ergonomiques pour éviter d’introduire des contraintes physiques ou cognitives inutiles. Cela permet de concevoir des milieux de travail sains dès le départ. Il s’agit de la stratégie la plus efficace et efficiente mais bien entendu, elle n’est pas toujours disponible. 

Ergonomie de correction

NIVEAU 2 – Élimination du risque à la source
C’est la méthode la plus efficace de prévention : elle consiste à supprimer complètement le danger en intervenant sur sa cause fondamentale. Par exemple, automatiser une tâche répétitive ou trop contraignante permet de faire disparaître l’exposition au risque.

À titre d’exemple, l’utilisation d’un cobot pour effectuer des tâches de palettisation élimine le risque d’effort cumulatif associé.

NIVEAU 3 – Modification de l’équipement
Quand l’élimination du risque n’est pas possible, on peut agir sur les équipements. Modifier les outils, machines ou postes de travail permet d’adapter les conditions de travail aux capacités humaines, réduisant ainsi les sollicitations excessives.

À titre d’exemple, l’intégration d’une table ajustable dans une tâche de palettisation permet de réduire l’amplitude de certains mouvements contraignants du tronc en limitant le déplacement vertical de la charge.

NIVEAU 4 – Réduction du temps d’exposition
Limiter le temps passé sur les tâches ou postes à risque permet de diminuer l’impact sur la santé. La rotation des postes ou la pause planifiée sont des exemples efficaces pour contrôler l’exposition aux contraintes physiques ou mentales.

À titre d’exemple, la rotation de poste de travail peut contribuer à réduire le risque d’effort cumulatif en limitant le nombre d’heures où le travailleur est exposé à des manutentions répétitives de charges.

NIVEAU 5 – Optimisation des méthodes de travail
En adoptant des façons de travailler plus sécuritaires, on peut réduire l’apparition de troubles liés à l’activité. Former les travailleurs à des principes ou à des techniques plus sécuritaires contribue à prévenir les blessures.

À titre d’exemple, une formation sur les principes de manutention sécuritaire permet de sensibiliser les travailleurs aux dangers liés à leur tâche et de leur enseigner des méthodes plus sécuritaires pour réduire les risques de blessure.

NIVEAU 6 – Équipement de protection individuelle (EPI)
Les EPI visent à protéger les travailleurs des risques résiduels lorsqu’il n’est pas possible de les éliminer ou de les réduire autrement. Bien qu’utiles, ils sont moins efficaces que les mesures en amont, car ils ne suppriment pas le danger.

À titre d’exemple, l’implantation d’exosquelette peut permettre de réduire la fatigue sur certaines articulations lors des tâches plus exigeantes physiquement.

NIVEAU 7 – Stratégie passive
Il s’agit de mesures qui misent sur la tolérance ou l’adaptation du travailleur plutôt que sur la réduction du risque.

Par exemple, les exercices d’échauffement ou les pauses actives visent à renforcer la capacité de l’individu à supporter les contraintes.

Conclusion : Prioriser avec discernement

En résumé, chaque mesure de prévention peut avoir sa place, mais elles ne sont pas toutes équivalentes.

En ergonomie, il est essentiel de résister à la tentation des solutions faciles et de structurer les actions en tenant compte de leur efficacité anticipée.

Par exemple, si des travailleurs doivent soulever manuellement des charges de 25 kg à répétition, installer une affiche “Pensez à plier les genoux!” à côté du poste ne constitue pas une solution efficace.

Chez Ergokinox, nous croyons que mieux comprendre la hiérarchie des interventions permet d’agir plus efficacement. Même si une solution paraît plus économique à court terme, elle peut s’avérer la plus coûteuse une fois qu’une blessure survient et que l’organisation doit composer avec les impacts humains, financiers et opérationnels.

Nicolas Paradis, Ergonome certifié CCPE