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Pourquoi les exosquelettes ont-ils la cote ?

Illustration anatomique du dos humain mettant en évidence les groupes musculaires du cou, des membres supérieurs, du dos, des mains et des membres inférieurs.

Avant-propos

Pourquoi voit-on proliférer les exosquelettes dans nos milieux de travail québécois
et canadiens ?

Ce phénomène, bien réel, ne relève ni d’un effet de mode ni d’une simple fascination technologique.

Dans un contexte où les robots sont encore peu utilisés et où les troubles musculosquelettiques restent fréquents, ces dispositifs offrent un soutien pouvant s’avérer pertinent. Dans cet article, je propose de faire le point sur les raisons pour lesquelles les exosquelettes suscitent un intérêt grandissant et je vous offre des pistes de réflexion pour les évaluer avec discernement.

« Auriez-vous un exosquelette à nous proposer pour nos travailleurs […] ? »

C’est un message que j’ai reçu pour la première fois en 2022 et que je continue de recevoir de plus en plus depuis…

Transportés maintenant en 2025, Ergokinox et moi-même sommes dans plusieurs entreprises, exosquelettes en main, dans le cadre d’essais comparatifs.

Comment expliquer que les exosquelettes industriels ont la cote dans nos entreprises québécoises et canadiennes ?

La question est grande, mais j’y tenterai d’y répondre en quelques points, mais avant tout posons quelques bases communes du contexte socio-économique canadien :

Contexte du déficit canadien en automatisation et en robotisation

Historiquement, l’économie canadienne s’est principalement développée autour de l’exploitation et de l’exportation de ses ressources naturelles telles que le bois, les minéraux, le pétrole ou encore les produits agricoles. Cette orientation a façonné un tissu industriel davantage tourné vers la transformation primaire que vers la production à haute valeur ajoutée nécessitant des technologies avancées. Contrairement à des pays comme l’Allemagne, le Japon ou même la Corée du Sud, qui ont misé tôt sur la modernisation industrielle, la robotisation et la haute précision, le Canada n’a jamais adopté une stratégie industrielle nationale forte en ce sens.

Sur le plan structurel, le secteur manufacturier canadien est largement composé de petites et moyennes entreprises (PME), qui représentent plus de 90 % des établissements qui font vivre l’économie et participe à près de 50% du PIB. Ces entreprises, souvent familiales ou locales, ont une capacité d’investissement limitée. L’achat de robots industriels ou de systèmes automatisés demande des capitaux importants, un changement des modes de production ainsi que des compétences techniques avancées, autant de barrières que de nombreuses PME hésitent à franchir. De plus, le retour sur investissement peut paraître incertain à court terme, surtout dans un environnement économique fluctuant. Cela peut alimenter une culture d’aversion au risque technologique.

À cela s’ajoute un accès difficile à des sources de financement adaptées. Bien que les gouvernements offrent des programmes d’aide à l’innovation (crédits d’impôt, subventions, etc.), ces mécanismes sont parfois complexes, peu flexibles, ou mal adaptés à la réalité des petites entreprises. Beaucoup d’entre elles n’ont tout simplement pas les ressources pour naviguer à travers la bureaucratie nécessaire pour en bénéficier pleinement.

Par ailleurs, la culture de l’innovation technologique reste inégalement implantée au Canada. Bien que le pays compte des centres de recherche de renommée internationale, la collaboration entre ces centres, les universités et les entreprises manufacturières demeure faible. Les innovations technologiques restent souvent cantonnées à des milieux académiques ou à des start-ups du secteur numérique, sans véritable transfert vers les industries manufacturières traditionnelles.

En implantation industrielle de la robotique, la Chine domine (51% des installations mondiales), tandis que les 5 premiers marchés représentent 79% de tous les robots industriels déployés dans le monde.

Pendant ce temps, nous sommes, comme Canadien, le 7e fournisseur mondial en robots, montrant que nous avons la capacité d’innovation, mais notre mise en œuvre industrielle nationale est clairement déficitaire.

Ce déficit en robotisation s’est longtemps maintenu sans grand impact apparent. Mais depuis le tournant des années 2000, la mondialisation, la montée en puissance de la Chine, les délocalisations massives, puis récemment les perturbations causées par la pandémie et les pénuries de main-d’œuvre ont mis en lumière les limites du modèle canadien. Les entreprises doivent désormais composer avec une double pression : rester compétitives sur la scène mondiale tout en maintenant la production malgré une main-d’œuvre de plus en plus rare.

Ainsi, bien que l’on observe aujourd’hui une prise de conscience et des efforts pour moderniser les moyens de production, le rattrapage est long et coûteux. Le retard accumulé au fil des décennies ne pourra être comblé sans une transformation structurelle, appuyée par des politiques claires, une amélioration de l’accès au financement pour les technologies de production, et une meilleure synergie entre les mondes de la recherche, de l’innovation et de l’industrie manufacturière.

Contexte de la crise démographique canadienne et québécoise

Un autre facteur souvent négligé est le coût historiquement abordable de la main-d’œuvre dans certaines régions du Canada. Cette réalité a, pendant longtemps, réduit l’incitation à automatiser. Tant que les entreprises pouvaient embaucher facilement à faible coût, l’automatisation n’apparaissait pas comme une priorité. Or, ce modèle devient de moins en moins viable, notamment en raison du vieillissement rapide de la population active et de la pénurie croissante de main-d’œuvre qualifiée.

Au Canada, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans par rapport aux travailleurs ne cesse d’augmenter. Cette réalité démographique met une pression grandissante sur le gouvernement canadien à reporter l’âge de la retraite à 67 ans. (Institut C.D. Howe, 2025). La réalité du vieillissement démographique n’est pas propre au Canada, cette tangente est commune aux pays de l’OCDE et aux pays industrialisés.

Graphique illustrant l'évolution du ratio entre le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans et le nombre de personnes en âge de travailler (20–64 ans) dans les pays de l'OCDE, de 1950 à 2100.

(Source : OCDE)

L’accélération de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, exacerbée par le vieillissement démographique et le départ à la retraite des baby-boomers, pousse les entreprises à chercher des solutions alternatives pour maintenir leur capacité de production. Le bassin de travailleurs jeunes et en bonne santé physique se réduit, alors que les tâches manuelles lourdes demeurent dans plusieurs secteurs comme la construction, l’agroalimentaire, la logistique ou l’assemblage industriel.

Maintenant, pourquoi les exosquelettes ont la cote ?

Dans ce contexte, les exosquelettes apparaissent comme une solution technologique de maintien en emploi pour plusieurs acteurs, permettant de prolonger la carrière de travailleurs expérimentés en réduisant les risques musculosquelettiques.

Au Québec, nous assistons à une montée des attentes sociales et légales en matière de santé et sécurité au travail (par la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail, par exemple).

Les troubles musculosquelettiques (TMS) sont toujours l’une des principales causes d’absentéisme, de départs précoces et de coûts pour les systèmes d’indemnisation. Or, dans un environnement où la prévention des TMS devient prioritaire, les exosquelettes deviennent potentiellement un outil complémentaire à l’intervention ergonomique, en offrant un soutien physique direct aux travailleurs.

Sur le plan technologique, les dernières années ont vu une maturation rapide des technologies d’assistance physique.

Leur implantation à grande échelle est désormais envisageable par la montée du niveau de maturité technologique, mieux connu sous le nom de TRL (Technology Readiness Level).

Le TRL est un indicateur qui mesure le degré de développement et de fiabilité d’une technologie, allant de l’idée conceptuelle (niveau 1) jusqu’à un produit pleinement déployé en environnement opérationnel réel (niveau 9). Or, dans les dernières années, une grande partie des exosquelettes disponibles sur le marché est passée du stade expérimental à des niveaux TRL élevés (des niveaux avoisinants le 7).

Cela signifie que les exosquelettes ne sont plus des prototypes ou des outils à valider en laboratoire : ils sont testés, éprouvés et adaptés à des environnements industriels réels, incluant la manutention, l’assemblage, la logistique ou la construction.

Les exosquelettes ne sont plus seulement des prototypes ou des dispositifs lourds issus du domaine militaire ou médical : ils deviennent plus légers, abordables, adaptables et ciblés aux diverses industries. Certains soutiennent les épaules pour les travaux en hauteur, d’autres les lombaires pour la manutention, ou encore les membres inférieurs pour les postes statiques prolongés. Nous observons depuis quelques années une course à la spécialisation accrue chez les constructeurs qui cherchent à prouver que leurs produits s’intègrent mieux que la concurrence dans des environnements réels, sans nuire à la mobilité ou à l’autonomie des travailleurs.

Bien que prometteuse, l’implantation d’exosquelettes en entreprise soulève naturellement des questions :

Est-ce rentable?

Est-ce accepté par les travailleurs?

Est-ce vraiment efficace?

L’un des freins majeurs à l’adoption des technologies émergentes en santé et sécurité est le risque financier perçu. L’acquisition d’exosquelettes, leur essai sur le terrain, la formation du personnel, et l’adaptation des postes de travail représentent un investissement initial non négligeable, surtout pour les PME.

C’est ici que les programmes d’aide gouvernementaux, les subventions ou encore les projets pilotes par des partenaires institutionnels (comme l’IRSST ou la CNESST) jouent un rôle clé. En réduisant la part du risque assumée par l’entreprise, ces mesures permettent de tester des solutions concrètes sans engager tous les coûts, tout en récoltant des données précieuses sur leur efficacité. En ce sens, ces programmes agissent comme des catalyseurs d’innovation en SST, en abaissant la barrière à l’entrée pour les technologies d’assistance physique.

Parallèlement, on observe une multiplication des études de cas diffusées dans le réseau québécois. Des institutions comme l’IRSST, les comités sectoriels ou encore des regroupements en SST publient de plus en plus d’études sur le sujet et de témoignages concrets d’entreprises.

Ces partages créent un effet d’émulation très puissant. Lorsqu’une entreprise dans un même secteur ou une même région voit qu’un pair a intégré un exosquelette avec des résultats positifs (réduction des TMS, amélioration du confort, augmentation de la productivité), elle est naturellement plus encline à envisager une démarche similaire. Le bouche-à-oreille professionnel, soutenu par des données terrain, renforce la crédibilité de la technologie et réduit la peur de l’inconnu.

Ces études de cas jouent également un rôle pédagogique important : elles montrent comment intégrer les exosquelettes dans une démarche ergonomique globale, en expliquant les étapes clés (analyse de poste, choix du modèle, accompagnement des travailleurs, suivi des effets).

L’éléphant dans la pièce

Alors que les fabricants d’exosquelettes vantent de plus en plus souvent les bénéfices en termes de productivité, d’endurance prolongée et de rendement, il est impératif de rappeler la finalité première de ces dispositifs : réduire les contraintes physiques sur le corps humain.

Permettant de prévenir les troubles musculosquelettiques (TMS), prolonger la capacité de travail, et favoriser le maintien en emploi.

Lorsque l’exosquelette est perçu et utilisé comme un outil d’augmentation de la charge de travail, on en dénature l’essence. Il cesse d’être un dispositif de soutien pour devenir un vecteur de sursollicitation, voire de nouvelles pathologies.

Les discours marketing qui évoquent des « augmentations d’efficacité », des « cycles de production plus rapides » ou la possibilité de « lever plus, plus longtemps » sont séduisants pour certaines entreprises, mais peuvent créer une pression implicite ou explicite sur les travailleurs. Cette pression, même non intentionnelle, peut se traduire par :

  • Une augmentation des cadences.
  • Une réduction des périodes de repos.
  • Une augmentation du nombre de tâches assignées à un poste.

Autrement dit, l’exosquelette, censé soulager, devient un facteur de surcharge compensée, qui masque la pénibilité au lieu de la corriger. Ce glissement compromet non seulement l’efficacité à long terme du dispositif, mais peut entraîner de nouveaux risques physiques, notamment par des transferts de charge sur le corps et/ou des postures compensatoires affligeant le travailleur.

Un changement qui demande de l’accompagnement

Pour éviter cette dérive, il est crucial que l’intégration des exosquelettes soit encadrée par une démarche ergonomique rigoureuse, où l’objectif n’est jamais de faire « plus », mais de faire mieux et plus sainement.

Cela passe par :

  • Une évaluation des besoins réels au poste.
  • Un accompagnement du changement incluant les travailleurs.
  • Une formation à l’usage responsable du dispositif.
  • Une surveillance post-implantation des effets sur la santé et la charge physique.

L’exosquelette ne remplace pas la prévention primaire (aménagement, organisation du travail, outils adaptés), mais en est un complément potentiel dans des situations où la réduction à la source n’est pas possible.

Maintenant,

Chaque industrie présente des contraintes uniques :
– Environnements de travail variés (poussières, éclaboussures, conduite de véhicules, etc.)
– Mouvements et cadences spécifiques aux tâches
– Besoins particuliers
– Culture d’entreprise et démographie différentes

Pourquoi risquer de choisir un équipement inadapté quand vous pouvez valider votre décision avec des données concrètes ?

Visitez notre page dédiée pour découvrir notre processus d’essai comparatif et discutons de vos besoins.

Hamza Azzouzi, ergonome EA